Gestion des délais en fiscalité – Prévenir et agir avant qu’il ne soit trop tard

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Gestion des délais en fiscalité

Saviez-vous que près du tiers des réclamations reçues au Fonds d’assurance de la responsabilité professionnelle des CPA du Québec (Fonds d’assurance) pour l'année 2022-2023 découlait du non-respect des nombreux délais prévus par les lois fiscales? Le non-respect de ces délais peut occasionner des intérêts, des pénalités et même la perte de certains crédits d’impôt, comme le crédit d’impôt à l’investissement ou encore le crédit d’impôt pour la RS&DE, s’ils ne sont pas réclamés dans les délais accordés. Ces pertes financières sont parfois suffisamment significatives pour la clientèle pour qu’elle songe à poursuivre le CPA afin d’obtenir un dédommagement.

Prévention

Parmi les bonnes pratiques à instaurer en prévention, il est judicieux pour tout CPA de :

  • documenter adéquatement tous les délais à respecter et de les communiquer clairement à sa clientèle;
  • consigner au dossier tous les échanges pour obtenir les documents nécessaires pour effectuer le travail en temps opportun, de même que les preuves d’envoi des formulaires et de production des déclarations. Si l’envoi ne peut se faire par voie électronique, prévoir utiliser un envoi par courrier recommandé avec preuve de réception; 
  • mentionner clairement que des pénalités et intérêts s’appliquent ou qu’un crédit risque d’être complètement perdu, si le délai est dépassé;
  • vérifier la possibilité de libérer les ressources nécessaires pour rencontrer les délais avant d’accepter le mandat et s’assurer d’être en mesure d’effectuer les suivis sur les avis de cotisation ou demandes de précision des autorités fiscales; 
  • porter une attention particulière à tous mandats spéciaux, car ceux-ci devraient entraîner une vérification des nouveaux délais à respecter, le cas échéant. Pensons notamment à une fusion qui peut créer un exercice court immédiatement avant la fusion pour les sociétés fusionnées et ainsi devancer plusieurs dates d’échéance.

Un bon système de gestion des délais pour l’ensemble de la pratique devrait permettre de suivre :

  • l’historique des déclarations et formulaires produits et la date où ils l’ont été;
  • la liste des déclarations et formulaires à produire par date d’échéance et par client;
  • les raisons et les suivis effectués pour les délais dépassés, le cas échéant.

Que faire lorsqu’un délai risque de ne pas pouvoir être rencontré ou qu’il est déjà trop tard?

  1. Déterminer le coût éventuel du dépassement de délai (pénalités, intérêts, perte de crédits, etc.) jusqu'au moment où il sera possible de le rencontrer (si ce moment est connu ou s’il est possible de limiter les dommages);
  2. Vérifier s’il est possible de demander une prolongation de délai avant l’expiration de celui-ci;
  3. Vérifier s’il est possible de déployer des efforts supplémentaires pour rencontrer le délai en collaboration avec le client ou l’aviser de la situation le plus tôt possible si le délai est déjà dépassé;
  4. Vérifier si la situation peut être admissible à une demande de renonciation et d’annulation d’intérêts, de pénalités et de frais (voir ci-après);
  5. Communiquer avec l’équipe du Fonds d’assurance à l’adresse suivante : assuranceresponsabilite@cpaquebec.ca pour déclarer la situation;
  6. Consulter un avocat au besoin pour les frais non couverts par le Fonds d’assurance, le cas échéant.

La demande de renonciation et d’annulation d’intérêts, de pénalités et de frais 

Situations visées et délai pour présenter une demande
Sur demande du contribuable, le ministre peut renoncer aux pénalités et intérêts imposés pour une année d’imposition1 ou les annuler en partie ou en totalité. Le délai pour faire une telle demande est de dix ans et ce délai commence à partir de la fin de chaque année civile où les intérêts se sont accumulés, et non à partir de l’année d’imposition de la dette d’origine2. En d’autres termes, si une demande est faite en 2023, elle peut viser à faire annuler les intérêts et pénalités seulement pour les dix années précédant l’année d’imposition 2023.
 
Bien que la loi ne précise pas les situations spécifiques où le ministre peut annuler les intérêts et pénalités3, les situations suivantes, lorsqu’elles découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, peuvent justifier un allègement :
  1. les circonstances exceptionnelles (p. ex. les catastrophes naturelles4, les troubles publics ou interruptions de services, les maladies ou accidents graves, les troubles émotifs sévères ou souffrances morales graves);
  2. les actions attribuables aux autorités fiscales (p. ex. les retards ou erreurs de traitement, les erreurs dans la documentation publique ou celles fournies aux contribuables, les retards excessifs pour régler une opposition ou un appel ou pour faire une vérification);
  3. incapacité de payer ou difficultés financières.

Il y a lieu de noter que l’erreur du CPA n’est pas énumérée parmi les critères justifiant un allègement des intérêts et des pénalités et que les tribunaux ont souvent confirmé que l’erreur du CPA ne constitue pas une circonstance exceptionnelle5. La circulaire IC07-1R1 prévoit également au par. 35 que « Les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs commises ou des retards causés par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. »  Il faut donc éviter de penser que l’admission par un CPA de sa faute puisse permettre l’allègement automatique des intérêts et des pénalités. 

Formulaires à remplir et documentation à joindre
Selon le cas, les formulaires à remplir sont :
  1. Fédéral - RC4288 - Demande d’allègement pour les contribuables - Annuler des pénalités ou des intérêts ou y renoncer 
  2. Québec - MR-94.1 Demande d’annulation ou de renonciation à l’égard d’intérêts, de pénalités ou de frais 
  3. TPS-TVQ - FP-4288 - Demande d’annulation ou de renonciation à l’égard d’intérêts ou de pénalités relatifs à la TPS/TVH et à la TVQ, ou à l’égard de frais relatifs à la TVQ 

Chacun des formulaires détaille les documents à joindre à la demande selon la situation visée.

Étant donné que le pouvoir du ministre d’accorder l’allègement est discrétionnaire, il est fortement recommandé, avant de soumettre toute demande, de s’assurer d’avoir fait une revue des faits et de la preuve soumise, à la lumière des critères jurisprudentiels et administratifs, et de consulter un avocat au besoin.  

Mettre toutes les chances de son côté pour que l’allègement soit accordé
De manière générale, l’ARC indique que certains facteurs serviront à déterminer si la demande doit être accordée, notamment le fait pour le contribuable d’avoir : 
  • respecté, par le passé, ses obligations fiscales; 
  • en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés; 
  • fait des efforts raisonnables et géré de façon responsable ses affaires selon le régime d’autocotisation; 
  • agi rapidement pour remédier à tout retard ou à toute omission6
Recours possibles en cas de refus : la révision administrative et le contrôle judiciaire
Si le ministre rend une décision défavorable, le contribuable peut demander un deuxième examen indépendant de la première décision. Il s’agit d’une révision administrative de la première décision. Il est même possible pour l’ARC d’autoriser des révisions administratives supplémentaires7. Si au terme d’une révision, une décision défavorable est rendue, le recours du contribuable est un contrôle judiciaire (devant la Cour fédérale ou la Cour supérieure, selon le cas), au cours duquel le tribunal doit faire preuve de retenue et n’intervenir que si la décision rendue par le décideur est déraisonnable8. Le fardeau du contribuable à cette étape est donc lourd, ce qui justifie une fois de plus l’importance de bien « monter » le dossier dès la première demande d’allègement.  

Il est à noter que toute question légale relative à la possibilité, à la façon et à l’utilité de produire une demande de renonciation ou d’annulation d’intérêts, de pénalités et de frais plutôt que passer par un autre moyen, comme une opposition à une cotisation, devrait faire l’objet d’une consultation juridique pour vous assurer d’avoir tout considéré dès le départ. 

Finalement, en tant que CPA, si vous êtes mandaté pour préparer une telle demande d’allègement, vous devez vous assurer d’obtenir la preuve de la réception de celle-ci par les autorités fiscales concernées. Vous devez également clarifier si votre mandat inclut le suivi du traitement de la demande, étant donné que son acceptation n’est pas assurée et qu’un refus pourrait entraîner des conséquences financières importantes pour votre clientèle si les montants dus ne sont pas réglés rapidement.

 

Stéphanie Faucher, M. Fisc., CPA
Conseillère principale, Fiscalité

Pascale Chèvrefils, CPA auditrice
Directrice, Pratique professionnelle, Fiscalité 

Membres du groupe de travail technique sur la fiscalité et les taxes à la consommation de l'Ordre des CPA du Québec

Avec la collaboration spéciale de

Andy Noroozi, avocat, LL.M. fisc.
Services juridiques Evolex inc.
Courriel : anoroozi@evolex.ca 
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Sources

1 En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (94.1 de la Loi sur l’administration fiscale au Québec).
2 Bozzer c. Canada, 2011 CAF 186 et Circulaire d’information IC07-1R1 - Dispositions d’allègement pour les contribuables, par. 15-15.1.
3 Aux termes de la circulaire IC07-1R1 (voir aussi au Québec le Bulletin d’interprétation LAF. 94.1-1/R8 - Renonciation ou annulation à l’égard d’intérêts, de pénalités ou de frais).
4 Par exemple, Revenu Québec a annoncé qu’elle fera preuve de souplesse à l’égard de la clientèle touchée par le verglas du 5 avril dernier, « en ligne », https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/revenu-quebec-fera-preuve-de-souplesse-a-legard-de-la-clientele-touchee-par-le-verglas-47254, et à l'égard de la clientèle touchée par les feux de forêt, « en ligne », https://www.revenuquebec.ca/fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/details/2023-06-06/revenu-quebec-fera-preuve-de-souplesse-a-legard-des-particuliers-et-des-entreprises-touches-par-les-feux-de-foret/.
5 Voir notamment : Kotel v. Canada, 2013 CF 1015; Muir c. MNR, 2016 FC 362; Knie c. MNR, 2009 FC 183.
6 Circulaire d’information IC07-1R1 - Dispositions d’allègement pour les contribuables, par. 33. 
7 Voir Simmons c. Canada (Procureur général), 2021 CF 202, en appel devant la CAF, A-96-21.  
8 Canada c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 13.

 

 
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