Comment procéder à l’évaluation initiale d’un instrument financier sans intérêts ou à taux réduit?
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Les normes comptables pour les entreprises à capital fermé (« NCECF ») stipulent que la juste valeur d'un instrument financier dont le taux d'intérêt ne correspond pas aux taux pratiqués sur le marché n'est pas égale à la contrepartie en trésorerie. Dans ce cas, la juste valeur peut être estimée comme correspondant à la valeur actualisée de l'ensemble des rentrées de trésorerie futures, obtenue en ayant recours aux taux d'intérêt couramment pratiqués sur le marché pour un instrument semblable (quant à l'unité monétaire, à la durée, au type de taux d’intérêt ou à d'autres facteurs) ayant une notation (qualité du crédit) semblable.
La question qui se pose est la suivante : quel taux d’actualisation doit-on utiliser?
Souvent, une approximation du taux d’intérêt basé sur les emprunts actuels de l’entité pourrait être acceptable, si les écarts potentiels possibles sont manifestement non significatifs par rapport aux états financiers pris dans leur ensemble.
Toutefois, si les montants en cause sont importants, une analyse plus approfondie s’impose. Sans entrer dans tous les détails inhérents à la détermination d’un taux d’intérêt, il faut d’abord prendre en considération que le taux d’intérêt d’un instrument financier est directement proportionnel au risque encouru par le prêteur.
Les situations courantes où l’on rencontre des emprunts sans intérêts ou à taux réduits (autres que ceux découlant d’une opération entre apparentés) sont les suivantes :
- Achat d’un actif financé directement par le fournisseur
- Achat d’une entreprise financé en partie par le vendeur (solde de prix de vente)
- Prêt d’un organisme gouvernemental ou municipal
- Prêt à des employés
Dans toutes ces situations, le risque encouru par le prêteur est très différent.
Le chapitre 3856, Instruments financiers, précise que le taux à utiliser doit être le taux d’intérêt couramment pratiqué sur le marché pour un « instrument semblable ». Afin d’identifier un « instrument semblable » dans un contexte donné et ainsi déterminer le taux de rendement (taux d’actualisation) à utiliser, il est pertinent de se poser la question suivante : quelle serait l’alternative la plus probable pour financer ce montant?
Si l’alternative est un emprunt garanti auprès d’une institution financière, par exemple, pour l’achat d’un équipement financé directement par le fournisseur (lorsque l’équipement est donné en garantie), le taux d’intérêt à utiliser s’apparente probablement au taux usuel de l’entité auprès de son institution financière pour le financement de ses autres équipements, auquel on pourrait ajouter quelques points de pourcentage pour refléter le fait qu’un prêt à terme traditionnel finance rarement la totalité du coût de l’équipement.
Toutefois, si l’alternative est une dette subordonnée ou encore de la quasi-équité/équité, par exemple, dans le cas d’un prêt non garanti octroyé par un organisme gouvernemental, le taux d’intérêt à utiliser s’apparente probablement au taux de rendement qui serait exigé par un investisseur en capital de risque. Plusieurs modèles d’analyses d’un mode de financement alternatif sont possibles. Le modèle proposé ici tient compte du fait qu’un montage financier est probablement nécessaire et qu’il faut tenir compte du risque encouru par les différents types d’investisseurs pouvant intervenir dans un tel montage financier et faire des moyennes de taux pondérés pour ainsi dégager le taux de rendement (taux d’actualisation) à utiliser.
Par exemple, dans le cas d’un prêt non garanti octroyé par un organisme gouvernemental pour un montant de 100 000 $, si l’alternative la plus probable pour obtenir un financement semblable se compose d’une dette subordonnée de 40 000 $ et d’une mise de fonds (équité) de 60 000 $ ayant des taux de rendement exigés respectifs de 10 % et 15 %, alors on peut raisonnablement estimer que le taux de rendement pour un instrument financer semblable serait de 13 % ((10 % x 40 %) + (15 % x 60 %)).
Pour évaluer les taux d’intérêt à utiliser dans un tel montage financier, il est utile de considérer les 5 principaux critères d’une analyse de crédit, soit : la direction, les flux monétaires, la structure financière, les conditions de prêt et les garanties.
Voici quelques pistes de réflexion sur chacun des critères qui aident à documenter le choix d’un taux d’intérêt.
La direction :
Est-ce que la direction a une bonne réputation et une bonne feuille de route? En d’autres mots : inspire-t-elle confiance à un éventuel prêteur traditionnel? Si la réponse est non, l’alternative serait possiblement de l’équité et un taux de rendement équivalent.
Les flux monétaires :
Quelle est la capacité de l’entreprise à générer des flux monétaires futurs suffisants pour rembourser ses obligations? Plus les flux monétaires sont importants par rapport au service de la dette, plus ils sont historiquement démontrés et soutenables pour l’avenir en fonction du positionnement de l’entreprise et de son industrie, plus le taux devrait être bas.
La structure financière :
Comment est le partage de risque entre les actionnaires et les créanciers? Quelle est la structure financière de l’entreprise? Plus le levier utilisé est important, plus le taux de rendement requis par un créancier est élevé. Dans un contexte où le pourcentage de financement est très élevé, il se pourrait que l’instrument financier ait pour fonction de combler un manque de mise de fonds des actionnaires. Si tel est le cas, le taux de rendement requis sur une partie de l’instrument pourrait s’apparenter à celui qui serait exigé pour de l’équité.
Les conditions de prêt :
Quel est le terme du prêt et quelles sont les modalités de remboursement? Plus le délai est long par rapport aux actifs financés, plus le taux d’intérêt est élevé.
Quelles sont les clauses restrictives? Plus le prêteur a le contrôle sur la gestion du capital de l’entreprise, plus le taux d’intérêt est bas.
Quelles sont les obligations d’information demandées par le prêteur? Plus le prêteur peut suivre de près son investissement, plus le taux d’intérêt est bas.
Les garanties :
Quelles sont les garanties données? Sont-elles bonnes? Est-ce que le montant financé est en lien avec la valeur de réalisation des actifs financés? Est-ce qu’il y a un déficit de garantie? Plus le pourcentage de financement par rapport aux garanties est faible, plus le taux d’intérêt est bas, à l’inverse, la portion du financement qui s’applique aux fonds de roulement ou en excédent de la valeur de réalisation des garanties exige un rendement plus important que la partie garantie.
Conclusion
En identifiant le mode de financement alternatif pertinent dans un contexte donné, soit un prêt à terme, de la dette subordonnée ou encore de la quasi-équité/équité, il est possible d’obtenir un taux de rendement qui reflète le marché pour un instrument semblable.
Bien entendu, comme il s’agit d’un exercice qui requiert du jugement et l’utilisation d’hypothèses, il n’y aura jamais une réponse unique. Une bonne documentation des critères ci-dessus constitue certainement la clé du succès pour obtenir une estimation appropriée.
Jasmin Bilodeau, CPA, CA
Directeur principal, Financement d’entreprises
Demers Beaulne, S.E.N.C.R.L.
Paul Beauvais, CPA, CA
Associé, Pratique professionnelle
Demers Beaulne, S.E.N.C.R.L.
Membre du groupe de travail technique NCECF – Comptabilité financière – Partie II