5 leçons à tirer des périodes de bouleversement pour améliorer nos prévisions financières
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Cet article se veut un résumé et une réflexion d’expert sur Memo to the CFO.
Les dernières années sont loin d’avoir été un fleuve tranquille. Pandémie, migration obligée vers le télétravail, rupture des chaînes d’approvisionnement, guerre en Ukraine, tentative du retour en présentiel, inflation galopante, hausse des taux d’intérêt, etc. Alors qu’autrefois un ou deux de ces éléments avaient une incidence sur nous en dix ans, ceux-ci se bousculent dorénavant presque avec empressement dans une même année financière.
Un très grand nombre d’articles ont été écrits au cours des dernières années sur notre besoin de nous adapter et d’améliorer notre agilité pour traverser les tempêtes. Alors que l’outil du budget est né au 19e siècle1, celui qui s’est forgé une place au début du 20e siècle et que nous connaissons aujourd’hui semble de moins en moins adapté au rythme des événements et des changements qui nous affectent depuis quelques décennies. Et cet état de fait est de plus en plus réel pour de plus en plus d’organisations. Je pratique la consultation depuis 25 ans déjà et je rencontre une multitude de personnes provenant de différentes organisations par le biais de nos formations. J’entends de plus en plus les commentaires suivant :
On le sait tous qu’au jour 1 de l’année financière que le budget n’est plus bon…
Ça prend un temps immense et il faut toujours changer les chiffres…
Les gens ne comprennent pas l’exercice et ne le font pas correctement…
Après quelques versions, la haute direction finit par nous dire les chiffres qu’elle veut bien avoir…
On a plus de budgets depuis quelques années et ça ne va pas pire qu’avant…
Depuis 2020, le message est encore plus présent et est presque rendu systématique. Alors que faut-il faire? Croire qu’après la pandémie et les autres événements qui nous bousculent actuellement, nous allons retrouver le fleuve tranquille prépandémique est illusoire. La réalité est que les changements continueront de nous bousculer et que le changement deviendra la norme de notre réalité.
Est-ce que cela veut dire que nous ne devons plus réaliser de prévisions financières, économiques, opérationnelles, etc.? Non. Nous avons besoin d’un outil pour nous aider à piloter notre organisation. Celui-ci doit toutefois être adapté à notre nouvelle réalité.
Quelles sont les adaptations qui nous sont maintenant nécessaires? Un article publié par McKinsey & Company en septembre 2020 en fait un bon résumé. Voici un résumé des cinq idées clés :
- Réimaginez l’entreprise à partir de zéro pour établir les principaux moteurs de valeur de l’entreprise.
- Retenez certains capitaux afin d’introduire de la flexibilité et d’avoir des options en cours d’année.
- Tester vos scénarios et vos hypothèses pour contrer l’incertitude.
- Affectez vos employés de talents (dans le volet financier) aux domaines et/ou aux activités les plus prioritaires.
- Repenser votre méthode de prise de décision pour accélérer le processus.
1. Réimaginez l’entreprise à partir d’une base zéro pour définir les principaux moteurs de valeur de l’entreprise
Avant la pandémie, très peu d’organisations utilisaient la budgétisation à base zéro, car selon plusieurs, cette approche est trop ardue et implique beaucoup de microgestion pour être efficace, comme elle consiste à justifier chaque dépense pour chaque période budgétaire.
Toutefois, cette méthode a la particularité de nous permettre de retourner à l’essentiel de notre organisation et de nous donner les moyens pour mieux comprendre les facteurs critiques de l’organisation et des inducteurs de revenus, de coûts et de valeurs.
Qu’ils en aient été conscients ou non, pendant la crise de la COVID-19, les chefs des services financiers ont utilisé cette méthode pour déterminer dans quels secteurs les ressources devaient être allouées et à quel niveau. De plus, celle-ci permet de mieux comprendre les facteurs qui influencent le comportement des coûts en fonction de divers niveaux de variabilités. Cette meilleure compréhension permet aux gestionnaires d’avoir une vision plus claire des risques et des occasions qui se présentent et des conséquences financières de leurs décisions.
2. Retenez certains capitaux afin d’introduire de la flexibilité et d’avoir des options en cours d’année
La plupart des entreprises avec un processus budgétaire annuel traditionnel établissent un budget relativement fixe pour la période financière. Cette situation n’a pas pu durer avec les dernières crises et des ajustements ont dû être rendus possibles dans la prévision. De plus, l’adoption d’autres outils tels que des tableaux de bord, des indicateurs clés de performance (KPI), le suivi des liquidités et le taux de combustion (burn rate), etc., ont été nécessaire pour suivre l’évolution en temps réel de la crise de la COVID-19. Les fonctions finances et les principaux gestionnaires devront conserver cette flexibilité et intégrer une approche modulaire dans leur budget et prévision pour tenir compte de diverses contingences et situations.
Une des approches gagnantes est de conserver au niveau central un budget de 10 à 15 % des dépenses qui pourra être utilisées en fonction de certaines situations ou occasions qui pourraient se présenter comme une hausse importante de la demande dans un secteur ou marché, un investissement dans un nouvel équipement plus rapidement qu’anticipé, le déploiement de ressources plus grandes en recherche et développement, la diffusion de plus de publicité, etc. L’objectif ici est de permettre l’allocation de ressources importantes avec plus d’agilité en cours du cycle financier.
En adoptant une approche modulaire et segmentée par phase relativement aux projets, les organisations maximisent leur chance d’investir dans les bons secteurs en fonction de l’évolution de la situation et de leur contexte.
3. Tester vos scénarios et vos hypothèses pour contrer l’incertitude
Si les gestionnaires veulent être prêts pour les périodes tumultueuses, ils doivent avoir testé les divers degrés de sensibilité de leurs modèles financiers et de leurs hypothèses ainsi que les scénarios potentiels. Ces scénarios et hypothèses, s’ils sont bien compris et documentés, permettront d’accélérer la prise de position et les décisions délicates qui devront être prises éventuellement.
De plus, au fils des mois et des trimestres, les scénarios économiques et leurs hypothèses seront confrontés à la réalité du monde dans lequel l’organisation évolue. Cette rétroaction permettra aux financiers, financières et gestionnaires d’obtenir de la rétroaction sur leur capacité à anticiper leur contexte organisationnel à partir d’une lecture économique et de tirer sur les bonnes ficelles pour optimiser l’atteinte de leurs objectifs stratégiques. Ces nouvelles méthodes leur permettront de développer de nouveaux réflexes stratégiques et d’être ainsi plus agiles face aux événements imprévus.
4. Affectez le talent financier aux domaines et/ou aux activités les plus prioritaires
La COVID-19 a bouleversé le monde du travail et les équipes des finances n’y ont pas échappé. Il a fallu modifier radicalement les modes de travail, c’est-à-dire un rythme plus soutenu, des cycles de reporting plus courts tout en soutenant des décisions budgétaires et stratégiques ayant potentiellement de grandes répercussions. Le mode agile a été mis de l’avant en augmentant le nombre d’analyses ad hoc, la fréquence du travail en petite équipe pluridisciplinaire, etc.
Dans l’avenir, si les approches citées précédemment sont mises de l’avant en conjonction avec l’agilité apprise et les nouveaux outils technologiques, le travail des équipes des finances passera de réactif à proactif.
Toutefois, un tel rythme pour tout faire ne peut généralement pas être maintenu. La direction des finances devra diriger :
- avec empathie, en privilégiant une communication bidirectionnelle fréquente et récurrente;
- en établissant des priorités claires qui tiendront compte :
- de l’importance relative (80/20) dans l’ajustement du niveau de précision et de détails attendus des rapports,
- des moteurs de valeurs clés de l’organisation,
- des indicateurs clés opérationnels à suivre fréquemment.
5. Repenser votre prise de décision
Les dernières crises nous ont démontré qu’il est désormais essentiel en période trouble que les équipes de direction soient alignées sur les mêmes objectifs stratégiques, les scénarios économiques, les objectifs opérationnels et l’allocation des ressources. Les équipes des finances devront expliquer pourquoi le processus budgétaire traditionnel n’est plus un outil adapté au contexte changeant actuel et pourquoi une méthode plus agile, comme les prévisions roulantes (rolling forecast), s’avèrera plus adéquate.
Pour développer cette agilité financière et opérationnelle, les liens plus étroits entre les opérations et les plans stratégiques devront être établis, de nouveaux KPI devront être créé, de la rétroaction et des données en temps réel devront être disponibles pour être en mesure d’avoir une bonne lecture de l’état de la situation.
Par contre, une difficulté se pointe à l’horizon : les bases de gestion de la performance. En effet, traditionnellement, la gestion de la performance et la rémunération incitative sont alignées avec le budget annuel et ses cibles. Dans un contexte d’incertitude et changeant, où les prévisions financières sont appelées à évoluer et changer tous les trimestres, de nouveaux outils de gestion du rendement devront être déployés et utilisés pour appuyer la gestion de la performance en remplacement de l’outil traditionnel budgétaire.
Passons à l’action
Comme nous l’avons vu, les crises des dernières années nous ont changés radicalement. Il n’est pas temps de retourner à nos vieilles habitudes en se disant que tout va revenir à la normale. Non, la normalité a changé et elle continuera à se transformer.
Face à ce défi, il faut tirer des leçons des actions apprises et des adaptations effectuées pour les peaufiner et les améliorer. La révision du mode de préparation du budget vers un processus en continu, tel que les prévisions roulantes, permet de garder cette agilité en focalisant sur la connaissance des scénarios et l’identification des moteurs de valeur économique principaux, en réallouant les ressources économiques là où elles apporteront de meilleurs résultats à court et long terme et en travaillant en équipe flexible.
À propos de l’auteur
André Bélanger, CPA, est président d’Optima Management et consultant en gestion stratégique des coûts et de la performance. Il est également auteur et formateur pour l’Ordre et pour le Mouvement québécois de la qualité. Il détient les certifications Lean Master – Bronze et Six Sigma – Ceinture verte, qui témoignent de son expertise en matière d’amélioration de l’efficacité des processus et de la chaîne de valeur. Reconnu en tant que référence par ses pairs, il est chef évaluateur dans le cadre des Prix Performance Québec.
1. Angl. budget, de l’ancien français boulgette, petite bourse (voy. BOUGETTE), qui prit en anglais le sens spécial de bourse du roi, trésor royal. Ce mot, emprunté à l’anglais dans les premières années du XIXe siècle, figure pour la première fois, comme signifiant l’ensemble des recettes et des dépenses de l’État, dans : Rapport au roi sur la situation des finances au 1er avril 1814, et sur les budgets des années 1814 et 1815. (https://www.littre.org/definition/budget)