Paiements d’impôt en retard ou insuffisants : un faux pas qui peut coûter cher!
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Voici un fait qui pourrait vous surprendre : une réclamation fréquente présentée au Fonds d’assurance de la responsabilité professionnelle des CPA du Québec concerne les intérêts sur des paiements d’impôt en retard ou insuffisants.
Comme vous le savez, des intérêts et des pénalités peuvent rapidement s’accumuler lorsqu’une société ou un particulier ne respecte pas les échéances de paiement prescrites. Ces frais, bien que souvent négligés, peuvent représenter un coût important, particulièrement parce qu’ils ne sont pas déductibles d’impôt. Les conséquences financières peuvent être assez significatives pour inciter le client ou la cliente à envisager de déposer un recours contre le ou la CPA afin d’obtenir une compensation.
Connaissez-vous les principales règles en vigueur pour les sociétés, les particuliers et les fiducies?
1. PAIEMENT DE L’IMPÔT – CE QU’IL FAUT SAVOIR
1.1 Sociétés
Une société doit verser des acomptes provisionnels si le total de son impôt à payer est supérieur à 3 000 $ pour l’année courante ou l’année précédente.
Les sociétés doivent payer des acomptes provisionnels sur une base mensuelle, sauf si elles remplissent certaines conditions leur permettant d’effectuer des versements trimestriels.
Si le paiement des acomptes est insuffisant ou en retard, des intérêts s’appliquent automatiquement à compter de la date d’échéance de celui-ci. Des pénalités peuvent également s’appliquer lorsque les intérêts sur acomptes provisionnels dépassent un certain seuil. Consultez la section 1.3 ci-dessous pour en apprendre davantage.
Aucun acompte provisionnel n’est requis à l’égard de l’impôt de la partie IV de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR). Ainsi, même si une société a un solde d’impôt de la partie IV à payer pour une année, sa base d’acomptes provisionnels pour l’année suivante n’est pas affectée. De même, le remboursement au titre de dividendes n’est pas pris en compte dans le calcul de la base des acomptes provisionnels.
Une société privée sous contrôle canadien (SPCC) peut effectuer des versements trimestriels si, entre autres :
- elle a observé parfaitement la Loi;
- elle a réclamé la déduction accordée aux petites entreprises (DAPE) (au fédéral) pour l’année courante ou l’année précédente ou respecte les conditions québécoises équivalentes;
- son revenu imposable et son capital imposable utilisé au Canada pour l’année courante ou l’année précédente (incluant les sociétés associées) sont inférieurs à 500 000 $ et 10 M$ respectivement.
L’Agence du Revenu du Canada (ARC) et Revenu Québec considèrent qu’une société a observé parfaitement la Loi si, au cours des 12 mois précédant la date d’échéance de l’acompte provisionnel, elle a :
- payé à temps les montants exigés (TPS/TVH, TVQ, retenues à la source, RPC, A-E, RQAP, RAMQ, RRQ);
- produit à temps les déclarations requises selon la Loi et la Loi sur les impôts (du Québec), Loi sur la taxe d’accise (TPS/TVH) et Loi sur la taxe de vente du Québec (TVQ).
Fédéral | Québec |
Choix parmi trois méthodes : 1. Méthode estimative (année courante) 2. Méthode de l’année précédente 3. Méthode combinée des deux années précédentes Consultez le guide : Guide des acomptes provisionnels pour les sociétés – 2025. |
Deux options : 1. Une estimation pour l’année courante 2. Une méthode fondée sur les impôts dus pour les deux années précédentes Consultez le guide : Calcul des acomptes provisionnels des sociétés. |
Vous pouvez trouver des renseignements additionnels concernant les acomptes provisionnels des sociétés dans le Guide Ressources des CPA - Fiscalité des société - TABLEAU 19.
Au fédéral seulement, une exception s’applique pour rendre le solde exigible trois mois après la fin de l’année d’imposition de la société lorsque la société est admissible à la DAPE et que, tout au long de l’année, elle a été une SPCC dont le revenu imposable (avec celui des sociétés associées) pour l’année précédente n’était pas plus élevé que le « plafond des affaires » (actuellement 500 000 $).
Attention à ne pas confondre la date d’exigibilité du solde de l’impôt et le délai de production de la déclaration fiscale, qui, pour une société, est de six mois après la fin de l’année d’imposition.
1.2 Particuliers (y compris les fiducies)
Des versements trimestriels sont exigés (15 mars, 15 juin, 15 septembre, 15 décembre) si l’impôt à payer de l’année précédente ou des deux années d’imposition précédentes dépasse 3 000 $. Ce seuil est de 1 800 $ pour les résidents du Québec.
Seules les successions assujetties à l’imposition à taux progressifs demeurent exemptées de verser des acomptes provisionnels.
Fédéral | Québec |
Choix parmi trois méthodes : 1. Méthode estimative pour l’année en cours : chaque acompte représente 25 % de l’impôt estimé. 2. Méthode fondée sur l’année précédente : chaque acompte représente 25 % de l’impôt net réel de l’année précédente. 3. Méthode combinée (deux années précédentes) : a. Mars et juin : 25 % de l’impôt net de l’année -2. b. Septembre et décembre : 50 % de l’excédent éventuel de l’année -1 sur l’année -2, si applicable. |
Deux options : 1. Une estimation pour l’année courante 2. Une méthode fondée sur les impôts dus pour les deux années précédentes Consultez le guide : Calcul des acomptes provisionnels des particuliers. |
1.3 Intérêts sur versements insuffisants
En cas de versement insuffisant :
- les intérêts sont calculés à partir de la date où l’acompte était dû;
- ils cessent de courir à la date du paiement réel.
Les taux d’intérêt sont établis chaque trimestre et ils sont capitalisés quotidiennement, tant au fédéral qu’au Québec.
Au Québec, le taux d’intérêt prescrit ne correspond pas toujours au taux fédéral.
Vous pouvez retrouver les tableaux des taux d’intérêt prescrits pour les années 2023 à 2025 sur la page Ressources et publications – Fiscalité, taxes et planification financière de notre site Web, dans la section Taux d’intérêt prescrits.
Une fiducie pourrait être exemptée d’intérêts sur les acomptes provisionnels en vertu d’une tolérance administrative de l’ARC, mais Revenu Québec applique les intérêts sans exception. Consultez le guide T3 – Guide des fiducies (T4013) et le Guide de la déclaration de revenus des fiducies | Revenu Québec.
1.4 Pénalité supplémentaire (fédéral)
Si les intérêts sur acomptes excèdent 1 000 $, une pénalité peut être imposée. Elle équivaut à 50 % de la différence entre les intérêts réels et le plus élevé de :
- 1 000 $;
- 25 % des intérêts qui auraient été payés en l’absence totale d’acomptes.
1.5 Intérêts additionnels au Québec
Un supplément de 10 % par année s’ajoute si les versements d’acomptes sont inférieurs à 90 % de ce qui était dû (75 % pour un particulier).
2. ASPECTS CLÉS À SURVEILLER POUR ÉVITER LES PIÈGES LIÉS AUX PAIEMENTS D’IMPÔT EN RETARD OU INSUFFISANTS
Voici quelques conseils pratiques pour réduire les risques de réclamations et protéger votre clientèle de conséquences financières indésirables.
- Lorsque vous utilisez la méthode estimative, vérifiez et ajustez les acomptes en cours d’année si des revenus imprévus surviennent (par exemple : dividendes, gains en capital, revenus additionnels liés au conjoint survivant, etc.).
- Assurez-vous que les ajustements d’acomptes sont effectués à tous les paliers de gouvernement.
- Validez soigneusement l’admissibilité aux paiements trimestriels. Avant de recommander des versements trimestriels, confirmez que toutes les conditions d’admissibilité sont remplies.
- Estimez adéquatement le remboursement au titre de dividendes (RTD). Confirmez le solde des comptes d’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD) sur le site Web de l’ARC.
- Lors de fusions ou de liquidations, assurez-vous que les bases d’acomptes provisionnels sont mises à jour. Par exemple, après une fusion, la société issue de celle-ci doit tenir compte de la somme des bases des sociétés remplacées.
- Si une société reçoit, dans le cadre d’un roulement, 90 % ou plus des biens d’une société liée, elle doit inclure la base d’acomptes de cette société dans ses calculs d’acomptes provisionnels.
- Pour une société nouvellement constituée, gardez en tête qu’aucun acompte n’est requis avant la deuxième année d’imposition, mais que le solde d’impôt reste exigible pour la première année d’imposition.
- Vérifiez l’incidence d’une fin d’année d’imposition abrégée, car celle-ci peut entraîner des répercussions sur les obligations d’acomptes.
- L’ARC considère que les paiements d’impôt sont effectués en temps, selon le cas :
o le jour où ils sont mis à la poste, pour les particuliers (incluant les fiducies);
o le jour où ils parviennent à l’ARC (et non à la date où ils sont mis à la poste), dans le cas des sociétés;
o le jour où ils sont traités par une institution financière (les paiements faits à un guichet automatique ne sont pas nécessairement traités le jour même). - Revenu Québec considère que le paiement doit être reçu au plus tard à la date d’échéance, exception faite du paiement joint à une déclaration de revenus d’un individu qui est transmise par la poste, qui est considéré comme reçu à la date de la mise à la poste. De plus, Revenu Québec considère que le paiement n’est réputé remis qu’au moment où l’institution financière traite effectivement l’instruction de paiement.
- Si la date d’échéance d’un paiement tombe un dimanche ou un jour férié, les autorités fiscales considèrent généralement l’avoir reçu à temps s’il leur parvient le premier jour ouvrable suivant la date d’échéance. Lorsque la date limite tombe un samedi, la position administrative de l’ARC est que la date peut être reportée au jour ouvrable suivant. Toutefois, Revenu Québec ne propose aucune extension de délai lorsque la date de paiement tombe le samedi, donc, au Québec, le paiement doit être fait à la date prévue.
- Le délai pour payer les acomptes provisionnels des sociétés est le dernier jour de chaque mois complet de l’année d’imposition (ou de chaque trimestre complet pour les SPCC admissibles). Le premier paiement est dû un mois après le début de l’année fiscale (par exemple, le 31 janvier pour une année d’imposition débutant le 1er janvier) et le dernier, au plus tard le 31 décembre. Au Québec, lorsqu’une société transfert des acomptes à l’année d’imposition suivante par la ligne 491 de la déclaration CO-17, les paiements sont considérés comme ayant été faits à la date de l’avis de cotisation, ce qui peut occasionner des retards. Il est plus avantageux pour la société de solliciter la réaffectation d’un paiement par une demande écrite puisque, dans un tel cas, les paiements sont réputés avoir été faits à la date initiale.
Votre client ou cliente vous informe d’un retard de paiement de ses acomptes provisionnels?
- Si un retard est à prévoir, proposez à la société de verser des acomptes provisionnels anticipés et au particulier de demander une augmentation de ses retenues à la source.
Attention : la règle de compensation des intérêts à payer et à recevoir ne s’applique qu’aux sociétés. - Pensez à solliciter des autorités fiscales qu’elles réaffectent un paiement à l’année précédente, lorsque cela permet de réduire l’impôt dû.
- Vérifiez si des crédits d’impôt remboursables peuvent être réclamés ou un report de pertes, demandé. Dans le cas d’un particulier, suggérez une contribution au REER, si possible.Certaines sociétés peuvent bénéficier d’un RTD pour optimiser leurs flux de trésorerie et éviter des intérêts sur acomptes insuffisants. Pour pouvoir réduire les acomptes provisionnels de façon justifiée, la société doit prévoir de verser un dividende dans l’année courante et remplir au moins une des conditions suivantes :
o l’impôt en main remboursable au titre de dividendes non déterminés (IMRTDND) est créé à partir de la fraction remboursable de l’impôt de la partie I (et non de la partie IV);
o la société a un solde d’impôt en main remboursable au titre de dividendes déterminés (IMRTDD) ou d’IMRTDND accumulé au cours des années précédentes. - Demandez une annulation des intérêts et des pénalités lorsque les versements en retard sont essentiellement attribuables à des mesures prises par les autorités fiscales ou à une raison indépendante de la volonté de votre client ou cliente.
- Conseillez à une société d’emprunter pour faire ses paiements, puisque les intérêts sur l’emprunt sont déductibles, alors que les intérêts et les pénalités sur les retards de paiement ne le sont pas.
3. Les bons réflexes à adopter
Ces quelques recommandations peuvent vous aider à prévenir des situations délicates liées aux retards ou insuffisances de paiement d’impôt de vos clients et clientes.
- Informez votre client ou cliente des risques de l’utilisation de la méthode estimative.
- Maintenez à jour vos connaissances des nouvelles obligations fiscales, comme celle concernant les paiements de plus de 10 000 $, qui doivent maintenant être faits électroniquement par tous les contribuables, ou celle concernant la prolongation de la période au cours de laquelle le ministre peut établir une nouvelle cotisation pour l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables en vertu de la partie IV LIR.
- Contrevérifiez les calculs en tenant compte des conditions particulières de chaque client et cliente, et ce, pour chaque année fiscale, notamment pour les SPCC admissibles.
- Questionnez-vous sur la raisonnabilité des calculs effectués de façon automatique par les logiciels de préparation de déclarations de revenus.
- Conservez une trace de toutes les directives de paiement envoyées à vos clients et clientes, des hypothèses formulées et des recommandations fournies. Documentez toutes les discussions avec votre clientèle au sujet des prévisions de revenus et validez les renseignements obtenus ainsi que toutes les recherches effectuées et les conclusions tirées.
- Consignez toutes les réponses et tous les renseignements fournis par vos clients et clientes.
- Suggérez à votre clientèle de conserver toutes les traces de leurs paiements, incluant les bordereaux et les accusés de réception.
- Pour prévenir les écarts ou les erreurs de traitement, vérifiez, au moment du paiement final, les sites Web de l’ARC et de Revenu Québec afin de confirmer que les paiements ont bien été reçus et traités correctement. Communiquez avec les autorités fiscales pour clarifier tout écart.
- Notez toutes discussions additionnelles visant à clarifier les changements de situations ou d’hypothèses.
- Documentez soigneusement le solde des comptes d’IMRTD (IMRTDD et IMRTDND). Considérez l’incidence d’un report de pertes.
- Discutez avec vos clients et clientes des conséquences possibles en cas de retard de paiement. Expliquez-leur que les acomptes provisionnels en retard ou insuffisants entraînent des coûts plus élevés au Québec qu’au fédéral et qu’ainsi, s’ils viennent à manquer de liquidités, il est préférable qu’ils priorisent les paiements au Québec.
- Mettez en place des procédures de rappel pour aviser votre clientèle des échéances de paiement. Consignez les envois et réponses dans un journal de contrôle.
- Utilisez le Guide de référence sur les délais en fiscalité accessible sur la page Ressources et publications – Fiscalité, taxes et planification financière de notre site Web.
- Abonnez-vous aux sites Web de l’ARC et de Revenu Québec pour être informé des allègements temporaires ou des reports d’échéance de paiement.
En conclusion
Une gestion rigoureuse des acomptes provisionnels et du solde d’impôt, autant pour les sociétés que pour les particuliers, permet d’éviter des intérêts non déductibles et des pénalités additionnelles. Restez à l’affût des échéances, vérifiez les méthodes les plus avantageuses pour votre clientèle et conservez une documentation complète.
Pour tout cas complexe, n’hésitez pas à consulter un expert en fiscalité. Advenant une situation litigieuse, déclarez la situation en communiquant avec l’équipe du Fonds d’assurance à l’adresse suivante : assuranceresponsabilite@cpaquebec.ca.
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Anabel Aubry, CPA
Dominic Leduc Fiscalité Inc.
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Avec la collaboration de :
Josée Messier, CPA
Directrice, Pratique et développement professionnel - Fiscalité
Ordre des CPA du Québec
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