Développer une culture d’amélioration continue | Étude de cas

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Développer une culture d'amélioration continue

 

Mise en situation

Une grande entreprise du Québec établie depuis les années 80 a célébré le 20e anniversaire de son programme d’amélioration continue en 2024. Voici comment ce programme est parvenu à une telle longévité.

Les origines du programme d’amélioration continue

Depuis la création de l’entreprise, l’équipe de direction a toujours été soucieuse de la performance organisationnelle et aime se comparer aux meilleurs en la matière. Les pratiques d’amélioration de la qualité étaient déjà en place neuf ans avant le lancement du programme d’amélioration continue et, l’équipe de gestion étant stable dans l’entreprise, celle-ci a fait preuve de proactivité en lançant elle-même des projets d’amélioration. 

En 2004, l’entreprise a décidé de lier les projets d’amélioration entre eux et c’est ainsi que la structure du programme a été créée. Afin de s’inspirer, la haute direction a visité d’autres entreprises considérées comme très performantes dans le but de développer son propre programme d’amélioration continue, répondant ainsi aux besoins de l’organisation tout en contribuant à la culture innovante de l’entreprise. 

Objectifs du programme et méthodes mises en place

Depuis 1995, l’entreprise a mis en place différents programmes d’amélioration de la qualité et utilisé plusieurs outils dans le but d’améliorer ses pratiques. Le programme d’amélioration continue a donc pour objectif de coordonner et d’harmoniser l’ensemble des démarches d’amélioration à travers l’entreprise. Il permet d’arrimer les projets aux objectifs stratégiques, de faire connaître à la haute direction les efforts de tous et de prodiguer aux équipes d’amélioration encouragements et reconnaissance.

La qualité et la disponibilité des données nécessaires pour supporter la prise de décisions représentent un atout. Depuis 2004, un système de planification des ressources de l’entreprise (PRE ou ERP en anglais) est en place et des outils d’intelligence d’affaires (BI en anglais) sont employés. Une équipe est responsable d’entretenir ces systèmes et de développer les outils nécessaires aux utilisateurs. Orienté sur la mesure de la performance pour valider les résultats et passer à l’action, le suivi des indicateurs de performance est également essentiel. Ainsi, le comité de direction effectue un suivi des résultats de production, de qualité, de SST, de rentabilité et plus encore. Le suivi des projets d’investissements est quant à lui effectué par le comité exécutif. Le suivi de ces projets permet d’identifier les mesures correctives requises. 

Chaque semaine, les résultats financiers sont aussi présentés à la direction, ce qui permet d’analyser et d’identifier les résultats qui ne sont pas à la hauteur des attentes. C’est ici qu’intervient le programme d’amélioration continue, qui permet la réalisation de projets (Kaïzen ou autres) qui visent l’atteinte des résultats désirés. Il s’agit d’un programme mobilisateur, un véhicule pour faire avancer les projets avec rigueur. À cet égard, plus de 60 % du personnel a contribué à au moins un projet depuis le démarrage du programme en 2004 et environ 225 personnes y participent de manière récurrente annuellement. Le programme a permis d’identifier plus de 45 000 actions depuis son démarrage. Des communications présentant les projets réalisés sont diffusées sur des tableaux dans les cafétérias et les projets sont révisés annuellement par les gestionnaires et leur équipe. 

Les membres de l’équipe de gestion, composée de la haute direction, des directeurs et directrices ainsi que des coordonnateurs et coordonnatrices, se rencontrent annuellement au printemps pour présenter les résultats financiers et opérationnels de leur secteur, ceux visés pour la prochaine année et les projets à mettre en place pour atteindre les objectifs établis. Chaque gestionnaire doit ainsi orienter ses projets en fonction des objectifs stratégiques qui lui ont été communiqués lors de l’exercice budgétaire.

La réalisation de plus de 200 projets annuellement permet au personnel de se responsabiliser et de prendre en charge des projets. Chaque personne peut ainsi affirmer son leadership et ce comportement est encouragé et reconnu au sein de l’organisation.  Les ressources qui contribuent aux projets peuvent ainsi réviser les processus auxquels elles participent et mettre en place de nouvelles pratiques auxquelles elles ont réfléchi. L’entreprise se caractérise ainsi par une culture de performance et d’engagement. Le style de gestion basé sur les communications, la transparence, le travail d’équipe, la disponibilité et la présence de la direction dans les usines ont permis de développer une culture de gens engagés.

Les quatre mesures de performance stratégiques identifiées et suivies rigoureusement sont les résultats liés au BAIIA, à la santé et sécurité (taux de gravité) et à la qualité (rejets, retours et plaintes), ainsi que le taux de livraison à temps. Lors de chaque exercice budgétaire, des objectifs sont fixés. La mesure des résultats est effectuée chaque trimestre et ils sont présentés selon un code de couleurs :  

  • Vert : l’objectif est atteint ou dépassé
  • Jaune : le résultat se situe entre l’objectif et les résultats de l’année précédente
  • Rouge : le résultat est inférieur à celui de l’année précédente

Chaque département possède également ses propres indicateurs de performance qui sont suivis par secteur et présentés au comité de direction. Dans l’alternative où les résultats du département sont inférieurs aux objectifs, des projets sont identifiés, proposés et ensuite réalisés. Les dépenses actuelles des départements et les impacts futurs des projets sont évalués afin de simuler l’impact que ces derniers peuvent avoir sur le BAIIA. Les coûts et bénéfices de chaque projet sont également évalués, afin de s’assurer d’un retour sur investissement rapide (18 mois et moins pour la majorité des projets et 3 ans et moins pour des projets de robotisation). Une saine gestion des résultats et des finances permet d’anticiper les coûts et les gains et de réaliser les objectifs selon les plans convenus. 

Dans chacune des usines, on retrouve une cheffe ou un chef d’équipe syndiqué pour chaque département et un contremaître ou une contremaîtresse qui supervise l’ensemble de l’usine, appuyé(e) par un directeur ou une directrice. Cette structure permet la responsabilisation du personnel syndiqué, puisque ces cheffes et chefs sont ainsi amenés à exercer un rôle de leadership auprès de leur équipe de travail respective.  

Lorsque des plans d’action sont définis, des indicateurs de performance sont identifiés, si ceux-ci n’ont pas déjà été établis. Au fur et à mesure que chaque plan d’action se réalise, la mesure du ou des indicateurs de performance identifiés doit se rapprocher de l’objectif.

Dans le cadre du programme d’amélioration continue, un suivi des activités est d’ailleurs effectué jusqu’à la réalisation complète du plan d’action. Une fois le plan d’action terminé, si l’objectif de performance n’est toujours pas atteint, une révision du processus en cause est effectuée.

4 principes clés 

Assurez-vous de l’engagement de la haute direction

Un tel programme doit pouvoir compter sur l’engagement de la haute direction pour encourager les équipes et favoriser l’excellence.

Désignez une personne dédiée au projet

Il faut éviter de confier la responsabilité d’un tel programme à quelqu’un qui a déjà une autre tâche. Le coordonnateur ou la coordonnatrice du programme doit y consacrer tout son temps.

Évitez d’imposer des projets

Les gestionnaires doivent percevoir le programme comme un moyen d’améliorer leur unité, d’atteindre leurs objectifs et de réaliser des projets auxquels ils et elles croient.

Instaurez des rencontres hebdomadaires pour le comité de pilotage

Ces rencontres stimulent et rallient les troupes, en particulier parce qu’elles sont d’excellentes occasions pour la direction d’offrir de la reconnaissance au personnel.

Description sommaire du programme

La philosophie :

  • Rechercher l’excellence : il s’agit d’un moteur de croissance pour les entreprises qui aspirent à être parmi les meilleures.
  • Pour soutenir sa croissance, l’entreprise a décidé de s’engager dans une démarche globale visant à intégrer systématiquement la recherche de valeur, et ce, à tous les niveaux organisationnels.
  • Le programme d’amélioration continue concrétise la démarche évolutive vers l’atteinte de cet objectif.
  • Il s’agit d’une stratégie d’affaires qui vise à satisfaire la clientèle interne et externe, à réduire le gaspillage et à accroître la valeur dans l’organisation.
  • C’est une approche rigoureuse, qui se déploie étape par étape.
  • L’approche est intégrée à l’ensemble des fonctions de l’organisation.
  • Sa structure bien définie.
  • Elle est basée sur des performances mesurables.
  • Elle résulte de la combinaison de plusieurs approches et techniques.

Une fois par année, les projets de chacune des fonctions de l’entreprise sont choisis par les gestionnaires et leur équipe. Ces projets doivent correspondre aux critères suivants :

  • Être arrimés aux objectifs de rentabilité (productivité, coûts des matières, coûts en santé et sécurité, coûts des ventes)
  • Être arrimés aux objectifs de service (rupture de stock, qualité du service, réduction des erreurs)
  • Motiver ou mobiliser les ressources humaines
  • Améliorer la santé et sécurité au travail
  • Réduire la dépendance aux fournisseurs
  • Améliorer la qualité des produits
  • Être d’une durée maximale de 3 mois 

Une gouvernance est mise en place pour faire le suivi du programme et des projets.

Organigramme du programme

Voici la structure mise en place dans l’entreprise afin d‘appuyer le programme d’amélioration continue. D’autres structures remplissant les mêmes rôles sont possibles. 

Développer une culture d'amélioration continue

Comment l’entreprise a-t-elle procédé à l’implantation du programme?

Des projets pilotes

Trois projets ayant de fortes chances de succès ont d’abord été déployés afin de tester la méthode. Ces trois projets ayant servi d’exemple, les gestionnaires ont ensuite déterminé les projets suivants qui furent progressivement intégrés au système. De 2004 à 2009, les usines qui existaient à cette époque se sont ralliées au programme.

Les gestionnaires en place à ce moment auraient pu percevoir le programme comme une menace, craignant que la démarche ne leur fasse perdre une partie de leur pouvoir, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, l’équipe de gestion a rapidement constaté que ce programme constituait plutôt un véhicule pour faire avancer ses projets.

Des orientations claires

Les efforts d’amélioration de la qualité et de la rentabilité ont, dans cette entreprise, des buts bien identifiés :

  • Satisfaire la clientèle interne et externe
  • Éliminer le gaspillage
  • Créer de la valeur
  • Assurer la santé et la sécurité du personnel
  • Favoriser les gestes écologiques

Au cours des premières années, les projets n’étaient pas tous véritablement arrimés aux objectifs stratégiques de l’entreprise. Progressivement, la décision fut prise de choisir les projets en fonction de leur contribution à l’atteinte de ces objectifs. Les projets sont ainsi proposés par l’équipe de gestion qui connaît bien les orientations stratégiques de la haute direction.

Un processus d’amélioration classique est utilisé pour l’ensemble des projets.

Un système de coordination

Le programme regroupe tous les projets d’amélioration de l’entreprise, qu’ils concernent les usines (57 % des projets) ou les bureaux (43 % des projets). Le tableau suivant présente la répartition des 250 projets identifiés lors de la dernière mise à jour. 

Développer une culture d'amélioration continue

Tous les projets intégrés au programme sont documentés dans un même système et comportent des objectifs, des échéances, un plan d’action et la liste des personnes qui y participent. Il est donc possible pour la direction et pour les unités concernées d’en suivre l’évolution. L’ensemble des projets en cours est présenté sur un tableau affiché dans la cafétéria du personnel et le statut de chaque projet y est indiqué : à réaliser, en cours ou terminé. 

Développer une culture d'amélioration continue

Le programme est géré par un coordonnateur ou une coordonnatrice qui peut apporter une aide méthodologique en tout temps. Ainsi, plusieurs gestionnaires mènent leurs propres projets, alors que d’autres demandent l’aide de cette personne pour organiser et animer les activités entourant leurs projets.

Le coordonnateur ou la coordonnatrice rencontre l’ensemble des gestionnaires trimestriellement afin d’établir le statut des projets de leur secteur. Ces rencontres stimulent l’évolution des projets et permettent de prévoir le démarrage des projets à venir.

Des comités décentralisés

Initialement, dans cette entreprise, les membres d’un comité composé du président, du vice-président aux ventes, des directeurs des divisions « A » et « B », du directeur de la qualité, d’un directeur de production et de la coordonnatrice se réunissaient chaque jeudi, et ce, depuis 2004.  Avec la croissance de l’organisation, des comités ont été créés dans plusieurs sites comme le tableau ci-dessous l’indique. Cette structure décentralisée permet de mobiliser les équipes dans l’ensemble des sites.

Développer une culture d'amélioration continue

À chaque rencontre de ces comités, des équipes font état du statut de leur projet lors d’une présentation de 10 à 15 minutes. La préparation de cette rencontre oblige les équipes choisies à faire le point. C’est l’occasion pour la direction de les encourager, de les conseiller et de les remercier.

La réunion permet aussi de transmettre des données statistiques sur l’avancement, de discuter de nouvelles technologies et de nouvelles méthodes et techniques d'amélioration continue, de prévoir des activités de formation et bien plus. Ces réunions à intervalle régulier comptent pour beaucoup dans le succès du programme, notamment parce qu’elles manifestent clairement l’engagement de la direction.

Chaque année, le coordonnateur ou la coordonnatrice réalise un diagnostic et une rétrospective de l’année afin d’évaluer dans quelle mesure les objectifs fixés ont été atteints et de déterminer si des ajustements doivent être apportés à la structure. Les objectifs sont également révisés chaque année.

De l’information pour tout le personnel

Lors de ses tournées dans les usines, le président parle régulièrement du programme d’amélioration continue et encourage le personnel et les gestionnaires à poursuivre leurs efforts vers l’atteinte des objectifs en expliquant les défis de l’entreprise. Plusieurs autres moyens sont utilisés pour faire connaître le travail des équipes dans l’entreprise. Par exemple, chaque personne qui participe à l’un des projets reçoit un t-shirt avec le logo du programme et de l’entreprise. Les résultats de chaque projet et la photographie de l’équipe sont diffusés sur la télévision dans les cafétérias de chaque usine. Chaque projet est documenté et la photographie des équipes concernées est jointe à cette documentation. 

L’intégration de nouvelles usines

L’entreprise a choisi de ne pas imposer la méthodologie du programme aux nouvelles usines dont elle fait l’acquisition, mais plutôt d’offrir de les outiller en ce sens. Par exemple, la coordonnatrice a proposé ses outils et offert du coaching à la personne responsable de l’usine achetée en 2010. Cette dernière a adopté progressivement le programme en l’adaptant aux particularités de cette usine.

Des résultats probants

Après 20 ans d’existence de ce programme d’amélioration continue : 

  • Plus de 60 % du personnel a participé à au moins un projet. 
  • Près de 60 % des projets sont réalisés dans un délai inférieur à 6 mois.
  • Près de 2 000 projets ont été réalisés, qui ont permis d’identifier plus de 40 000 sources de gaspillage et d’y trouver des solutions. 93 % des solutions identifiées ont été implantées.
  • La productivité augmente en moyenne de 3 % chaque année.
  • Les rejets ont été réduits de 43 % pour l’ensemble des usines de la division A et les retours de 43 % pour la division B.
  • Les gestionnaires affirment avoir découvert de nouvelles façons de travailler avec leur personnel, ce qui contribue au climat de confiance et à la satisfaction au travail.
  • Le personnel s’est habitué aux changements.

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À propos de l'autrice

Julie Turcotte détient un baccalauréat en administration des affaires, option gestion des opérations, ainsi qu'un MBA en gestion manufacturière et logistique. L’essai de son MBA traitait des mesures de performance, puisqu’elle soutient que : « Se mesurer, c’est s’améliorer! ». 

Consultante depuis plus de 25 ans, elle mise sur des approches concrètes afin d’accroître la performance des entreprises. Orientée sur les résultats, elle se concentre sur des mandats visant à mettre en œuvre des techniques de gestion à valeur ajoutée afin de réviser les processus d’affaires. Elle préconise également le développement et le maintien de programmes d’amélioration continue permettant aux entreprises de s’améliorer à tous les niveaux. Dans ses interventions, elle priorise le travail d’équipe et utilise les indicateurs de performance comme facteur de mobilisation.

En plus de la consultation, Julie Turcotte a contribué aux travaux de la Chaire interdisciplinaire de recherche et d'intervention dans les services de santé (Chaire IRISS) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et a enseigné au collégial aux étudiants et étudiantes qui s’orientent vers les sciences de l’administration. 

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